Entretien avec Pierre Moos

Paris, le 6 septembre 2012

Pierre Moos

Le Parcours des Mondes, le plus important salon international des arts premiers, fêtera sa XIème édition du 11 au 16 septembre 2012 à Paris. Les galeries du quartier des Beaux-arts à Saint-Germain des Prés vont accueillir les 64 exposants internationaux de cette année, qui représenteront, outre la France, neuf pays et trois continents.

Cette année, l’événement sera présidé par Lionel Zinsou de la fondation Zinsou, la première fondation tournée vers la culture et l’art au Bénin, et également président de PAI Partners et membre du conseil d’administration de la Société des amis du quai Branly.

C’est en grand partie grâce à Pierre Moos, directeur du Parcours des Mondes, et à son équipe, que le regard sur l’art tribal, longtemps qualifié d’« art primitif », a profondément évolué. Artkhade avec Art Media Agency était ravi d’avoir l’opportunité d’interviewer Monsieur Moos sur cet événement exceptionnel.

  • D’où vient votre passion pour l’art tribal et qu’est-ce qui vous fascine dans cet art ?

Pierre Moos (PM): Il faut remonter aux années 60 quand, jeune cadre d’un grand groupe français, j’ai dû séjourner en Afrique, au Gabon et en Côte d’Ivoire. A l’époque je ne m’intéressais qu’au cubisme, et essayais d’acheter ce qui était dans mes moyens, des dessins des petits cubiste, H. Gleizes, Metzinger, Lhote, etc. Au Gabon, pour me remercier, un chef de village m’a offert deux masques que j’ai précieusement enfermés dans un placard en rentrant en France, sauf que, quelques mois après, j'ai commencé à percevoir un lien entre mes petits dessins et les morceaux de bois gisant dans mon armoire. Je les ai ressortis, et ça y était, j’étais devenu fou, je me demandais où l’on pouvait acquérir de telles choses, j'ai visité quelques galeries dont Vérité, assisté aux rares ventes et commencé à acheter, puis, lors de mes voyages, notamment aux Etats-Unis ou en Suisse, j’ai fait l’acquisition de pièces. J’ai accumulé des centaines de pièces africaines, car malheureusement, je suis un accumulateur, et avec le recul, je me dis que le côté positif, c’est que j’ai vu et eu beaucoup de choses. Le négatif, avec mes connaissances actuelles, est que le nombre de chefs-d’œuvre se compte sur les deux mains, le reste étant bon, sans plus. Pourquoi cette passion, pour moi? Dans la Bible (l’Ancien Testament) il est écrit « sans pain et sans passions on meurt ». Voilà ma réponse, le problème est que j’en ai beaucoup d’autres : la peinture moderne, les livres d’avant-garde russe, la bakélite, les tissus Nazcas (Pérou ancien) etc., mais la vie est ainsi faite que je peux prendre un avion, traverser la planète pour voir une exposition, un artiste et revenir un jour après. J’ai, avec le temps refréné mes ardeurs et me suis concentré sur l’Océanie, particulièrement la Nouvelle Irlande, et plus précisément une petite île en face de Tabar. Cela veut dire que, des trois-quarts de la planète, mon choix s’est porté sur une tête d’épingle plantée sur une mappemonde.

  • Quel était votre but quand vous avez repris le Parcours des Mondes ?

P. M. : Ce sont les marchands français qui sont venus me voir en disant que nous étions les seuls à pouvoir reprendre le Parcours, que le fondateur souhaitait céder. Après discussion, nous avons racheté le Parcours, qui était le prolongement du travail en profondeur réalisé par le magazine Art Tribal, pour faire connaître l’Art Tribal, mais surtout défendre les marchands qui sont les vrais passeurs, et qui ont assuré la pérennité de cet art. Sans eux, pas de collectionneurs, pas de musées, pas de livres. Les marchands sont l’âme de cet art et ils sont tous passionnés. Savez-vous que, dans le monde, il y a 70 galeries ? Vous allez à Chelsea, dans un seul immeuble vous avez 60 galeries d’art contemporain. Cherchez l’erreur.

  • Comment le Parcours des Mondes a-t-il changé ou développé depuis votre reprise en 2008 ?

P. M. : Le changement était facile, il fallait investir, j’ai appris cela dans mes activités d’industriel, car 70% de nos recettes sont investis en publicité, communication, marketing, on ne devient pas le leader mondial impunément. En effet, contrairement à toutes les autres foires françaises ou étrangères, cela ramène nos concurrents au niveau d’un comice agricole. Les marchands gardent pendant un an leurs plus belles pièces pour le Parcours et ne veulent pas les "brûler" en les présentant ailleurs, soit à Bruxelles, à Londres ou à Amsterdam. La présence du Musée du Quai Branly a également été un atout : avec une telle présence, nous nous devions d’être les meilleurs. Nous avons élargi le spectre de notre clientèle en faisant venir les grands collectionneurs d’Art moderne et contemporain, tout en suggérant à nos participants de marier les tableaux et l’Art Tribal, La galerie Trigano et Aittouares ont joué le jeu. D’autres suivent aussi : preuve en est que cette année, nous avons lancé un partenariat avec le groupe Maisons et Objets qui, aux mêmes dates, s’est inspiré du thème des galeries en plein air, des promenades ludiques dans Paris. A tel point que le groupe Poltrona Frau présentera, dans son show-room du 6ème, un mélange entre ses ensembles et des pièces tribales. Après tout, ce sont des créateurs et le mariage se fait merveilleusement (à voir absolument). Les gens qui aiment le design ne peuvent qu’être touchés par les sculpteurs tribaux, et inversement ; l’Art est universel, un reliquaire Kota sur une table basse de Marc Newson : un mariage réussi. N’oublions pas que le Parcours a organisé des expositions à la Monnaie de Paris qui ont amené des dizaines de milliers de personnes. La fermeture pour travaux de ce merveilleux établissement, nous a permis d’organiser des concerts à L’Alcazar, principalement de musique africaine, où malheureusement, à cause du nombre de places limité, nous refusons des centaines de personnes. En résumé, investissements en temps et en argent, rigueur de la sélection des œuvres et des marchands, nombreux événements autour et liés au Parcours, qualité du marketing (nous recommençons à préparer le Parcours 2013 dès janvier) signalétiques, catalogues de luxe, services aux marchands, traductions, mise en place, etc. Finalement, à ma connaissance, je ne connais pas d’événements qui soit, avec un si petit budget, aussi réussi et qui attire autant de personnes.

  • Votre catalogue annonce que le parcours s’élargira, se renforcera et s’enrichira cette année. Est-ce que vous pourriez préciser cela à l’aide de quelques exemples ?

P. M. : Chaque nouvelle édition du Parcours des Mondes est vécue comme un défi par toute l’équipe, et d’autant plus après l’édition anniversaire des 10 ans qui a remporté un succès unanime. Nous essayons toujours de rester attentifs aux évolutions du marché de l’art tribal et notamment au parcours des marchands internationaux, afin de proposer au public une offre renouvelée. Ainsi, cette année, nous accueillons 7 nouveaux participants, triés sur le volet. Nous donnons leur chance à des marchands de la nouvelle génération tels Renaud Riley ou Michel Thieme, pour qui le Parcours des mondes est une forme de reconnaissance dans leur carrière. Nous accueillons aussi le retour – comme c’est le cas pour la Tambaran gallery (l’une des plus grandes enseignes d’art tribal qui s’est faite plus rare sur la scène internationale ces dernières années) – ou l’arrivée de grands noms du métier. Pensez, par exemple, que Stéphane Mangin, qui a repris la galerie Pierre Vérité sur le boulevard Raspail, à moins d’un kilomètre du quartier du Parcours, s’est finalement laissé tenter par l’expérience et loue même une galerie rue des Beaux-Arts à cette occasion. Chaque nouveau marchand apporte son expérience, son regard, et un défi également pour ses confrères qui savent qu’ils doivent se remettre en question en permanence et maintenir un excellent niveau sur le Parcours.

  • Quels seront les points culminants de cette année ?

P. M. : Encore une fois, le programme des expositions thématiques est particulièrement attrayant. On peut évoquer l’exposition « Des Cuillères et des Hommes », que Serge Le Guennan prépare depuis de nombreuses années en mettant de côté des pièces inédites de tous les continents. Jean-Edouard Carlier, de la galerie Voyageurs et Curieux annonce une présentation thématique sur l’archipel Bismarck, une région difficile car peu de pièces sont disponibles sur le marché, et trouver des œuvres inédites demande une vraie connaissance des vieilles collections et suppose un travail de fond remarquable. Et que dire d’Alain Bovis qui annonce une exposition autour du « Primitivisme » africain, à la source de l’intérêt occidental pour les arts premiers. Sans compter que la plupart de ces expositions sont accompagnées de publications qui dépassent souvent le simple catalogue pour devenir de vrais livres.

  • Cette année, les marchands participants vont mettre à l’honneur le Nigeria. Pour quelle raison ont-ils choisi ce pays ?

P. M. : Oui, quelques marchands organisent des présentations qui font écho à la programmation des grands musées d’art premier et notamment du quai Branly. Le Nigeria est une région souvent appréciée des marchands et collectionneurs, car elle est encore relativement « vierge ». Peu d’études ont été menées, des pièces sortaient encore récemment, tout était encore à découvrir … un défi que les marchands d’art africain ont souvent plaisir à relever.

  • Quel sera le rôle de Lionel Zinsou lors de la XIème édition du Parcours des Mondes ?

P. M. : Depuis que nous avons repris le Parcours, nous avons chaque année invité des personnalités du monde des arts premiers à parrainer l’événement. Jean-Paul Barbier-Mueller, le Président Jacques Chirac, le cheikh Saoud Al-Thani, James J. Ross et cette année Lionel Zinsou, étaient pour nous des figures emblématiques dans le domaine des arts premiers, pour leur travail en tant que collectionneurs ou pour leurs réalisations en faveur du développement des connaissances sur les arts premiers. C’est une manière pour nous de leur rendre hommage et de rappeler à quel point leur engagement est important dans notre domaine.

  • Comment l’art tribal est-il reconnu par le grand public et les marchands aujourd’hui ?

P. M. : Il y a encore du travail pour que les arts premiers soient reconnus à leur juste valeur, mais la progression est évidente. Le public ne se détourne plus des « fétiches » comme il le faisait encore il y a quelques années, il s’y intéresse maintenant et se laisse fasciner et surprendre. Il commence à discerner des styles, des époques, s’autorise à préférer l’une ou l’autre région. On voit que peu à peu le public commence à apprécier ces objets pour leur forme, leur force, leur histoire, comme des œuvres d’art en soi. Quant aux marchands, on sent une professionnalisation des nouvelles générations. L’heure n’est plus aux mercenaires mais aux marchands doctes et patients. Les marchands ont compris le rôle qu’ils devaient jouer auprès des futurs collectionneurs qui sont de plus en plus exigeants en terme d’historique, de provenance, d’étude de style.

  • Quels projets avez-vous pour la prochaine édition du salon en 2013 ?

P. M. : Toute notre attention est portée sur l’édition qui démarre dans quelques jours, mais nos regards se portent vers la Monnaie de Paris qui devrait rouvrir ses portes sous peu. Je vais pouvoir en dire plus dans quelques mois.