Parcours des mondes, entretien avec le marchand Bernard Dulon

Paris, le 9 septembre 2011

<img src="https://ak-articles.fra1.digitaloceanspaces.com/_/9/FNL5f00t-lg.jpg" alt=“Parcours des mondes, interview with Bernard Dulon" />

Du 7 au 11 septembre dernier, le Parcours des mondes s’est déroulé dans le quartier de Saint-Germain des-Prés à Paris. Il s’agit du plus grand événement consacré aux arts premiers au monde. Cette année, pas moins de 64 marchands du monde entier ont pris place à Paris pour proposer des expositions exceptionnelles, conçues spécialement pour l’événement. Deux jours après l’ouverture du Parcours, Artkhade avec Art Media Agency est allée à la rencontre de Bernard Dulon, l’un des plus grands marchands d’art premier, afin de mieux comprendre le fonctionnement et les premiers retours de cette édition 2011.

  • « Comment se passe le Parcours des mondes cette année ? »

Bernard Dulon : « Cette année encore, nous pouvons dire que le Parcours des mondes a beaucoup de succès et que de nombreux visiteurs ont été au rendez-vous. Au niveau des affaires, l’émulation provoquée par la manifestation est certaine et nous avons bien vendu au sein de la galerie et également par téléphone. Les gens ont été prévenus de l’arrivée de notre exposition sur l’art Kota, grâce au catalogue notamment et certains collectionneurs se sont décidés avant même le début du Parcours, alors que d’autres mettent un peu plus de temps à se décider. Pour l’instant, nous pouvons dire sans réelle surprise, que le résultat est très positif, autant au niveau commercial que de la fréquentation. »

  • « Le Parcours vous a donc permis de faire de belles ventes ? »

B. D. : « Oui et non. Si le Parcours est l’occasion de faire parler de nous et d’aller au contact d’un public plus nombreux, notre galerie étant spécialisée dans le « haute de gamme », je ne peux pas dire que nous vendons plus que d’habitude grâce à cette manifestation, car nous ne vendons pas beaucoup « au passage ». Par contre, cela provoque une émulation certaine et l’événement est une excellente vitrine pour tous les marchands participants. Oui j’ai fait de belles ventes, mais j’aurais pu tout autant présenter cette exposition à un autre moment de l’année et les retombées auraient été similaires. »

  • « Qui sont vos acheteurs alors ? »

B. D. : « Compte tenu du caractère exceptionnel et muséal des œuvres Kota que nous proposons, nos principaux acheteurs restent nos collectionneurs habituels, auxquels s’ajoutent cette année plusieurs musées désireux d’acquérir des pièces Kota. »

  • « Que vous apporte le Parcours du point de vu commercial ? »

B. D. : « Au niveau commercial, le Parcours n’apporte pas énormément à la galerie. L’exposition Kota va se poursuivre pendant un mois encore et les ventes vont se poursuivre bien après la manifestation. Mais la débuter pendant le Parcours des mondes est un plus pour la notoriété et pour l’ouverture de l’art Premier au public. Il faut savoir « jouer le jeu », d’autant plus si l’on est une galerie spécialisée dans des pièces rares et couteuses. La fourchette de prix de nos œuvres se situe entre 80.000 et 500.000 € et il est évident que le Parcours n’apporte que peu de nouveaux acheteurs à ce niveau de prix. »

  • « L’exposition Kota aurait donc pu avoir lieu à un autre moment ? »

B. D. : « Tout à fait, mais je trouve qu’il est très important de participer au Parcours, afin de rendre les arts premiers plus accessibles et plus actuels. À cette occasion, les gens viennent dans nos galeries comme dans un musée. Le Parcours est l’événement le plus important au monde de l’art africain. Il est donc dommage de le manquer, surtout pour un galeriste de St-Germain-des-Près. Et puis nous ne sommes jamais à l’abri de découvertes. Quelque fois il arrive que des gens me disent avoir une pièce semblable chez eux… Cela ouvre de nouvelles opportunités et peut-être à une trouvaille. »

  • « Parlez-nous de l’art Kota, pourquoi est-il si côté ? »

B. D. : « L’art Kota est emblématique de l’art africain. Se sont des objets que tout collectionneur et musées doivent avoir. Il s’agit d’un art fascinant, né au centre de la forêt équatorial et qui provient d’une civilisation aussi extraordinaire que particulière. L’Oba Kota est, on peut le dire, une icône de l’art africain. »

  • « On dit que pour les arts Premiers, l’appartenance à une collection est primordiale pour garantir la qualité et l’authenticité des oeuvres, est-ce le cas pour vos pièces ? »

B. D. : « Bien entendu. Nous nous sommes attachés à avoir le maximum de styles possibles car Kota est une région linguistique et stylistique, qui regroupe diverses ethnies telles que les Obamba, les Sangu ou les Mahongwé. Chacune de ces ethnies a développé un style propre et nous avons essayé, pour cette exposition, de proposer parmi les plus belles créations de chacun de ces « sous-groupes », encore disponibles aujourd’hui. La provenance d’une collection est aujourd’hui dans l’art africain un gage d’authenticité et de qualité. Il faut rappeler que nous vendons un art à la fois non signé et non daté objectivement. Une bonne traçabilité depuis la fin du XIXe ou le début du XXe siècle est quelque chose qui rassure au niveaux du prix et au niveau du goût. Un collectionneur comme Rasmussen, qui a possédé des pièces en vente ici, rassure beaucoup les acheteurs, qui savent qu’ils font un bon achat, avec une histoire connue. Nous sommes donc en mesure de fournir une vraie et complète traçabilité de chaque objet que nous proposons aujourd’hui, en remontant jusqu’aux années 1860, date à laquelle les pièces ont été trouvées. »

  • « Y a-il encore de tels objets en Afrique aujourd’hui ? »

B. D. : « Ce genre d’objets, il n’en existe presque plus en Afrique depuis les années trente. Il s’agit d’objets de surface, protégés et très vendus pendant la colonisation. Les derniers à avoir été sortis de cette région, l’ont été dans les années 1970 et trouvés par le célèbre explorateur George Vidal, dans un puits où les pièces stagnaient depuis des dizaines d’années. Il les a ensuite vendus à Jacques Kerchache. »

  • « Que pensez-vous des expositions du Parcours cette année? »

B. D. : « Cette année, les marchands présents sont français, américains, espagnols et belges pour la plupart. Il y a également plusieurs galeries de provinces, que l’on n’a pas l’habitude de voir et qui se sont surpassées au niveau de la qualité et de la diversité des objets proposés. C’est le cas de la galerie Laurent Dodier, qui propose une exposition remarquable de cuillères des indiens de la côte du Nord-Est des Etats-Unis. Il y a là près de trente ans de travail… C’est fantastique. »

  • « Le Parcours mise donc sur la diversité autant que sur la qualité ? »

B. D. : « 64 marchands, cela veut dire 64 qualités différentes. Toutes les galeries ne travaillent pas de la même manière, mais toutes font des efforts remarquables. Certains confrères proposent des expositions de grande qualité, mais plus accessibles aux visiteurs car les ethnies sont moins côtées et un peu moins rares. On peut citer la galerie américaine Bruce Frank Primitive Art, exposée à la galerie Agathe Hélion & Clair et qui propose un ensemble de masques passeports, coûtant entre 1.500 et 7.000 € environ. Il propose de vrais objets authentiques et de qualité, le tout à moindre coût et il a déjà beaucoup vendu. L’approche est différente, mais est toute aussi importante pour le marché car elle le rend plus accessible. Il est primordial de permettre à un large panel de collectionneurs et de portefeuilles d’accéder à l’art premier et c’est ce que rend si bien le Parcours, car il propose un large éventail de prix et de zones géographiques, toujours de qualité. »

  • « Avez-vous fait des découvertes cette année ? »

B. D. : « Chaque année, je fait évidemment des découvertes. Pour n’en citer que quelques unes, la galerie espagnole Raquel y Guilhem Montagut présente des chefs-d’oeuvres d’art Dogon que je ne connaissais pas. À tous les niveaux, il est possible de faire des découvertes et cela prouve que l’événement est une réussite. Le marchand Antonio Casanova de la galerie Arte y Ritual en espagne, possède également de très beaux objets des indiens Tlingit du XVIIIe siècle que j’aimerais vraiment avoir ! »

  • « Vos confrères semblent t-ils contents du Parcours pour l’instant ? »

B. D. : « Comme nous l’avons dit, il y a deux sortes de marchands. Ceux qui viennent pour travailler et vendre et cela ont bien vendu d’après les premiers retours et ceux qui travaillent d’une autre manière, c’est à dire qui ne vendent pas « au passage » et travaillent avec leurs clients directement. Le fait que ces galeries participent quand même à cette manifestation est une bonne chose. La diversité des galeries du Parcours permet à cette manifestation d’être en haut de l’affiche et de rayonner à l’international. »

Propos recueillis auprès de Bernard Dulon, fondateur et directeur de la galerie Dulon à St-Germain-des-Prés.