Coup de foudre pour l’art brut : Entretien avec Daniel Klein

Quito, 20 mai 2015

Coup de foudre pour l’art brut : Entretien avec Daniel Klein

Daniel Klein et son épouse Carmen sont deux passionnés d’art primitif. Ils sont tous deux à l’origine de la Casa del Alabado – un musée d’Art précolombien destiné à offrir aux Équatoriens un aperçu de la culture andine et de leur vaste patrimoine. AMA a eu l’occasion de rencontrer Daniel Klein afin d’en savoir davantage sur l’intérêt qu’il porte pour l’art brut et la manière dont celui-ci occupe une place nouvelle sur le marché de l’art.

Quel a été votre parcours et comment êtes-vous devenu collectionneur ? Je suis d’origine française, mais je vis déjà depuis trente ans en Équateur où j’ai commencé à collectionner l’art colombien avec mon épouse. Nous avons ouvert un musée, il y a trois ans maintenant, dans le centre de la ville de Quito, spécialisé dans l’art précolombien. Ce fut notre coup de cœur, nous avons été touchés par tout ce qui ressemblait à de l’art informel, un peu inconscient. Nous avons alors collectionné l’art africain, l’art océanien des Amériques, tout ce qui était art primitif, art populaire, etc. Bref, tout ce qui touchait un peu à la figure de l’artiste anonyme. Depuis quelques années — je dirai à peu près cinq ans —, nous collectionnons l’art brut et nous en sommes tombés amoureux. Nous pensons que, d’une certaine manière, le langage de l’art brut est en harmonie avec ce que nous collectionnions auparavant — c’est-à-dire que parfois nous collectionnions de l’art brut sans même le savoir !

Est-ce que vous pouvez nous parler un peu plus de la raison pour laquelle vous êtes attiré par l’art brut ? D’une certaine manière, c’est un langage qui nous touche. À l’époque de l’art primitif, les artistes avaient d’autres relations avec les objets, c’est-à-dire avec leur production. D’une certaine manière, c’est cet inconscient qui nous touche énormément. Nous ressentons une certaine lassitude dans l’art contemporain. Nous apprécions tout ce qui touche à l’art en général, mais nous sommes peut-être moins touchés par l’art conceptuel. Nous cherchons une certaine esthétique dans l’art et c’est ce langage nouveau, frais et spontané que nous apprécions dans l’art brut.

Quelle taille fait votre collection actuellement ? C’est difficile à dire, en Équateur notre collection d’art précolombien est constituée de plusieurs collections que nous avons réunies. Le musée ne nous appartient pas à 100%, ce sont deux collections qui ont été fusionnées et on parle peut-être de 6.000 pièces que nous avons dans nos réserves en Amérique du Sud. Un peu comme tous les collectionneurs, nous sommes assez compulsifs, mais nous ne perdons pas de vue la valeur esthétique des objets. Il me semble difficile de parler d’un nombre de pièces…

Vous souvenez-vous de votre première pièce ? Cela dépend de quelle culture. Dans l’art précolombien oui je m’en souviens, c’est déjà il y a très longtemps. C’était une sculpture Bahia, la première pièce pour laquelle nous avons eu un coup de foudre avec mon épouse. Après, concernant l’art africain, c’était une petite statue Teke. Je la garde toujours, elle est très importante pour moi d’un point de vue symbolique. Elle possède une énorme charge magique, s’apparentant à celle d’un fétiche. Dans l’art brut, je ne saurais me souvenir, nous avons commencé à collectionner plusieurs dessins de plusieurs artistes en même temps. Comment choisissiez-vous les pièces que vous acquérez ?

Cela dépend, mais surtout dans les galeries. J’aime la relation que nous établissons avec les galeristes, c’est une relation de confiance qui grandit au fil des années. Nous nous associons avec un galeriste, car nous savons que sa vision, sa manière de regarder les choses est très proche de celle que nous avons. C’est une certaine garantie et les galeristes déjà savent ce que nous recherchons donc nous trouvons que c’est plus intéressant que d’acquérir aux enchères. Même s’il nous arrive aussi d’acheter aux enchères quand nous recherchons un objet en particulier. Je dirais que nous nous retrouvons plus dans l’idée de fouiner un petit peu et de rechercher des coups de foudre. Quand nous tombons sur une œuvre qui nous plait, nous n’avons pas besoin de réfléchir, nous prenons notre décision très vite.

Il y a-t-il des créateurs que vous avez découverts dans l’art brut qui vont devenir important selon vous ? L’art brut est quelque chose d’assez récent. Les collectionneurs qui commencent à s’y intéresser viennent du monde contemporain, presque tous. Ils ont donc une certaine vision. Il y a dans l’art brut, selon moi, deux catégories majeures : celle des artistes classiques, qui ont été découverts par Dubuffet, et les artistes émergents, les artistes contemporains. La galerie Christian Berst est spécialisée dans ces artistes et on trouve des créateurs qui sont de vraies merveilles, des artistes émergents d’Amérique du Sud comme des artistes du monde entier. Donc ce sont de nombreuses découvertes, mais c’est un peu trop tôt pour répondre à votre question, disons que les artistes émergents contemporains seront surement beaucoup plus reconnus dans le futur.

Avez-vous vu des changements dans le marché de l’art brut depuis que vous avez commencé à collectionner ? Tout à fait. Il y a cinq ans à peine, je collectionnais l’art brut sans même le savoir. Nous avons toujours collectionné sans vraiment donner de l’importance à la cote des artistes. C’est d’ailleurs quelque chose qui, je pense, nous caractérise. Notre démarche réside dans le fait de tomber amoureux d’une œuvre et non pas de l’acquérir à cause de sa cote.

Quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez en collectionnant l’art brut ? Dans l’art brut, comme dans l’art en général, on ne peut dissocier l’œuvre de l’artiste. Je pense qu’il y a toujours un personnage derrière l’œuvre. Mais parfois, le créateur est vivant et c’est toujours intéressant de le connaître, de le rencontrer. Vous pouvez rencontrer un créateur dans une institution psychiatrique, vous pouvez le trouver chez lui. Il n’y a pas de difficultés, au contraire. Comme le marché de l’art brut est en pleine croissance, il y a toujours plus de personnes qui s’y intéressent et qui découvrent de nouvelles émotions. Mais c’est un marché qui reste limité, ce qui est un avantage. Parfois, certains artistes qui sont dans le marché agressif de l’art contemporain sont exposés à des prix très élevés et presque toute leur exposition est vendue avant que vous soyez rentré dans la galerie. L’avantage avec l’art brut est que l’on trouve des merveilles à des prix tout de même très raisonnables, donc je ne vois vraiment pas de difficultés de ce côté-là, je pense qu’il y a tout l’horizon devant nous.