Le Kabuki en scène au Musée Guimet avec Hélène Bayou

Paris 25 juin 2015

Le Kabuki en scène au Musée Guimet avec Hélène Bayou

Hélène Bayou, la conservatrice en chef du département des arts du Japon au Musée Guimet à Paris, a organisé l’exposition intitulée « Japon, images d’acteurs, estampes du kabuki au XVIIIe siècle » qui se déroule jusqu’au 6 juillet 2015, parallèlement à une exposition complémentaire, « Du Nô à Mata Hari, 2.000 ans de Théâtre en Asie », qui se déroule jusqu’au 31 août 2015 dans le même musée. Art Media Agency a eu l’occasion de faire le point avec la commissaire sur son travail tout au long de l’organisation de l’exposition.

Comment avez-vous eu l’idée de monter cette exposition dédiée aux estampes Kabuki ? Il y a deux ans, la présidente du Musée Guimet, Sophie Makariou, et moi avons organisé un projet pour les estampes japonaises de la collection du Musée Guimet. Nous possédons une collection très riche d’environ 5.000 estampes réalisées par des artistes connus et moins connus et qui datent du début de l’époque Edo jusqu’à l’ère Meiji, reflétant ainsi l’histoire entière du mouvement artistique Ukiyo-e. Une petite partie de la collection d’estampes japonaises continue d’être exposée au deuxième étage du musée, dans la section japonaise. Il s’agit d’une salle spéciale qui réinvestit l’ancienne bibliothèque du musée, qui évoque l’architecture néo-classique des années 1880. Cet espace est consacré à la présentation d’estampes et dessins japonais depuis la rénovation du musée en 2000. Nous avons par la suite décidé d’organiser, deux fois par an, de courtes expositions autour de notre collection d’estampes, en prenant soin de développer un fil rouge, un axe cohérent à développer au fil de ces expositions. En ce moment, une importante exposition intitulée « Du Nô à Mata Hari, 2.000 ans de Théâtre en Asie » se déroule au Musée Guimet et c’est pourquoi nous avons choisi de présenter des estampes japonaises qui s’inspirent des portraits d’acteurs du Kabuki du XVIIIe siècle.

Les œuvres que vous présentez à l’occasion de cette exposition proviennent-elles exclusivement de la collection du Musée Guimet ? Toutes les œuvres que nous présentons sont issues de la collection permanente du Musée Guimet, ce qui explique pourquoi l’exposition constitue un tel défi. Puisque les estampes sont très fragiles, seules 50 pièces ont pu être sélectionnées. Elles seront exposées pendant une période de trois mois avant de retourner dans les réserves du musée, loin de la lumière du jour. Pour des raisons de conservation, les pièces ne pourront pas être exposées à nouveau avant deux ou trois ans.

Comment avez-vous sélectionné les œuvres et artistes pour cette exposition ? Nous exposons un ensemble d’environ 50 pièces, principalement des peintures et estampes. À part une peinture rare datant du deuxième quart du XVIIe siècle et quelques estampes de style primitif datant des 20 dernières années du XVIIe siècle, toutes les autres œuvres que l’on expose ont été créées au XVIIIe siècle. J’ai voulu exposer les travaux des figures les plus emblématiques de ces époques et mettre en valeur les façons que les artistes avaient de traiter les différents aspects de l’univers théâtral. Les artistes japonais du XVIIIe siècle ne s’intéressaient pas tous au théâtre Kabuki et à ses acteurs. Les artistes spécialisés dans ce domaine étaient très peu nombreux, mais tous traitaient des différents éléments du monde Kabuki. J’ai donc essayé de sélectionner les meilleures estampes de la collection du musée pour toutes ces raisons.

Pouvez-vous expliquer la structure générale et les thèmes de cette exposition ? Les premières peintures et les plus anciennes estampes cherchent à expliquer comment la représentation picturale est apparue au Japon. Celle-ci est apparue au début de l’époque Edo, au début du XVIIe siècle, et se caractérise avant tout par la représentation de lieux et de villes célèbres, comme Kyoto par exemple. Ainsi, nous présentons un paravent à deux feuilles très important représentant l’une des plus anciennes formes du théâtre Kabuki, dite Wakashu Kabuki en japonais, et qui doit son nom à Okuni Kabuki. Le peintre, qui est anonyme, dépeint des lieux spécifiques de Kyoto (l’ancienne capitale impériale du Japon) y compris des sanctuaires, des temples et des lieux de divertissement. Dans la peinture, on peut distinguer le bâtiment d’un théâtre, de jeunes acteurs (Wakashu) qui apparaissent sur scène et différents types de spectateurs.

Dans le même esprit, nous exposons une grande peinture datant du milieu du XVIIIe siècle, qui représente un autre lieu de divertissement dans la ville d’Edo (l’ancien nom de Tokyo). Le quartier Yoshiwara (connu pour être le quartier des plaisirs, des courtisanes et des prostituées au XVIIe siècle) était un thème important pour les artistes Ukiyo-e dans les 20 dernières années des XVIIe et XVIIIe siècles. Dans cette peinture sur soie, le quartier de Yoshiwara est représenté de façon très détaillée, et révèle des boutiques et cafés dans la rue, quelques musiciens, des acteurs célèbres et des geishas lisant le nouveau programme sur le chemin vers le théâtre. Cette œuvre représente en réalité une scène de genre dans laquelle les habitants de la ville s’amusent et vont au théâtre. Cette exposition montre également à quel point les acteurs sont devenus d’importants sujets pour les estampes du XVIIIe siècle. Dans ces estampes figurent des quartiers et lieux importants des villes japonaises au début de l’époque d’Edo et l’on peut y distinguer des personnes en train d’étudier le théâtre, des spectateurs qui assistent à une pièce de théâtre et des geishas, qui sont des figures récurrentes de la littérature contemporaine. Le style pictural a ensuite évolué pour se focaliser seulement sur des représentations d’acteurs, en particulier sur les portraits individuels d’acteurs spécifiques. Les artistes de l’école Torii, puis plus tard également Tôshusai Sharaku, recherchaient avant tout la beauté esthétique, en plus de la dimension humaine et individuelle des acteurs de l’époque d’Edo.

Pouvez-vous revenir sur les défis que vous avez rencontrées tout au long de l’organisation de cette exposition ? La première difficulté était le fait d’attirer le public vers notre collection permanente d’estampes japonaises. Cela est essentiel pour le musée mais tout aussi important afin de comprendre la culture d’Edo. Un autre défi résidait dans la recherche d’explications détaillées pour informer les visiteurs sur les estampes moins connues dans notre collection. Par exemple, nous montrons deux estampes ôban réalisées par Sugimura Jihei, qui était un peintre et un artiste d’estampes de la fin du XVIIe siècle, mais qui n’a été découvert qu’au début du XXe siècle. Ces deux estampes appartiennent à un groupe d’estampes qui s’inspirait de récits de littérature médiévale tels que le Heike Monogatari ou le Soga Monogatari, joués par des acteurs Kabuki et peints par Sugimura Jihei ou Torii Kiyomasu dans un style archaïque.

L’étape suivante de l’exposition se focalise sur de belles estampes produites par les artistes de l’école Torii et datant du début jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, puis sur des estampes de l’école Katsukawa — fondée par Miyagawa Shunsui, et spécialisée dans les peintures et les estampes représentant des acteurs Kabuki, des lutteurs de sumo et de jolies femmes —. L’exposition se termine sur deux estampes Hosoban très symboliques signées Utamaro et d’intenses portraits de Sharaku, contemporain d’Utamaro. Ces estampes traitent de l’identité de Sharaku, car celle-ci était inconnue jusqu’à présent. Nous ne pouvions pas exposer l’ensemble des estampes de Sharaku ni la collection entière de l’école de Katsukawa, donc il n’était pas facile de choisir entre les artistes et leurs œuvres. Je devais également établir des comparaisons entre les différentes estampes afin d’aider les visiteurs à comprendre l’art de Sharaku, qui a toujours été très mystérieux. Je voulais également mettre en avant les influences de Sharaku et établir des liens entre ses travaux surprenants, les estampes Katsukawa et les portraits d’Utamaro. Il était important pour moi de comparer ces célèbres artistes et leur vision de l’univers Kabuki.

La plupart des expositions d’art japonais dont vous avez été chargée, sont des expositions d’œuvres anciennes. Êtes-vous aussi intéressée par les expositions d’art japonais contemporain ? Cela fait plusieurs années que le musée monte des expositions d’art japonais contemporain. Nous avons notamment organisé deux importantes expositions autour de la calligraphie japonaise contemporaine. Celles-ci incluaient quelques pièces issues de la collection du Musée Guimet, qui possède plusieurs anciennes calligraphies datant du XVIe au XIXe siècles. Depuis 2012, nous travaillons avec Mainichi Shodokai, une association japonaise qui rassemble des calligraphes contemporains et qui organise des expositions annuelles au Japon. Nous avons présenté quelques unes de ces créations au Musée Guimet en 2012 et 2013. Cet automne, nous accueillons une troisième édition intitulée « Sho 3 ».