3 questions à… Didier Claes

Bruxelles, 4 septembre 2017

  • Comment expliquez-vous l’intérêt croissant pour l’art africain ?

D.C.: Le marché a considérablement évolué ces dix dernières années. Avec les premières grandes ventes publiques d’art africain, celle de la collection Hubert Goldet en 2001 par exemple, des œuvres ont atteint des sommets, dépassant parfois le million d’euros, ce qui était tout à fait nouveau. Ensuite, il ne faut pas oublier que les grandes maisons de ventes organisaient traditionnellement leurs ventes à Amsterdam, Londres ou New York. Désormais, Sotheby’s et Christie’s font chacune deux ventes d’art africain par an à Paris. Les foires, comme Parcours des Mondes ou Bruneaf, sa jumelle bruxelloise, se sont également amplifiées. Mais le principal phénomène déclencheur a été l’inauguration du musée du quai Branly – Jacques Chirac, un grand pas pour l’acceptation de cet art. Pour les marchands, le rôle de ces institutions est primordial, car elles permettent d’avoir sur ces collections un regard moins ethnographique ; le public va désormais voir un objet d’art africain comme il va voir un tableau. Et nous espérons obtenir le même impact en Belgique avec la réouverture du musée de Tervuren, prévue en juin 2017.

  • Quelle place occupe la BRAFA dans ce contexte ?

D.C.: Incontestablement, la BRAFA est maintenant la foire généraliste qui compte le plus de marchands d’art africain au monde. Cette année, nous sommes une dizaine. À titre de comparaison, nous n’étions que cinq lors de la dernière édition. Il ne manque qu’une galerie pour réunir à la BRAFA le top mondial des marchands d’art africain ! De grands noms sont présents, comme Monbrison, Bernard Dulon ou Schoffel de Fabry. Bernard de Grunne, qui ne participait plus qu’à Maastricht, fait son retour. Volontairement, nous travaillons avec une clientèle européenne. C’est un choix parfaitement assumé et, à mon sens, 70 % des collectionneurs et des acteurs principaux de ce marché viennent à la BRAFA pour y rencontrer des marchands de haut niveau. C’est une belle réussite. Personnellement, la BRAFA est mon meilleur salon de l’année, celui sur lequel je travaille le mieux et celui aussi où je rencontre le plus de personnes.

  • Art traditionnel, art tribal, art premier… Comment aujourd’hui définiriez-vous le vaste champ des arts africains ?

D.C.: Cette question irrite toujours. On a aussi parlé d’art nègre, d’art primitif… Derrière chaque dénomination, il y a une époque, une vision politique. Personnellement, je parle d’art classique africain, une notion simple qui fait consensus. Cette question est liée à l’histoire de l’arrivée des objets en Europe. Les premiers étaient des souvenirs rapportés par les explorateurs. Ensuite, de 1870 à 1920, l’administration coloniale et l’armée les ont confisqués pour stopper les rites. Les Jésuites, surtout, ont voulu éradiquer les croyances en collectant la plupart des pièces qui ont rejoint les musées ou ont été vendues. À partir des années 1950, sur fond d’indépendance et de guerres, comme au Nigeria et au Congo, toute une vague de marchands et d’amateurs s’est aventurée en Afrique. Ce fut l’époque des marchands-baroudeurs, aux parcours, il faut le dire, pas toujours très nets, et qui étaient prêts à tout pour organiser la sortie massive des dernières grandes pièces jusque dans les années 1970. Depuis, le marché s’est organisé autour d’objets qui étaient déjà dans les collections. Aujourd’hui, plus aucun marchand ne connaît vraiment le terrain. Grâce à mon père, j’ai eu la chance de vivre l’émotion de la brousse et de ces trouvailles, mais j’ai arrêté, car je me suis rendu compte qu’il n’y avait plus aucune pièce ancienne sur place. 98 % de l’héritage culturel africain n’est plus en Afrique. Une certaine élite originaire du continent s’intéresse à son patrimoine, mais il faudra des années pour constituer des collections. C’est valable pour l’Europe comme pour l’Afrique.