Aux sources de l’art tribal

Paris, 12 septembre 2017

Comme chaque année depuis 16 ans, le salon s’installe à Saint-Germain-des-Prés pour une semaine consacrée à l’art tribal. Jusqu’au 17 septembre, ce rassemblement de 67 marchands offre un dépaysement garanti en plein cœur de Paris.

Parcours des mondes, sous la baguette de Pierre Moos – également directeur général de Tribal Art magazine –, est devenu l’événement le plus important de sa spécialité, devançant ses concurrents européens les plus réputés. Une réussite incontestable qui confère au rendez-vous un rayonnement unique. Et ce n’est pas rien, tant le calendrier des événements liés aux arts classiques africains et océaniens ainsi qu’aux arts précolombiens et asiatiques s’est développé. Entre la BRAFA et BRUNEAF à Bruxelles, TEFAF à Maatrischt, la Tribal Art Fair d’Amsterdam et de Londres, et même Frieze New York qui cette année a fait le pari d’accueillir des marchands d’art tribal dans ses allées – Donald Ellis (New York), L & R Entwistle and Co (Paris, Londres) et la galerie Meyer (Paris) –, c’est bien simple, on ne compte plus les rendez-vous d’envergure internationale organisés autour de l’art tribal. La France n’échappe pas non plus à cet engouement. Depuis 2016 se tient en Saône-et-Loire, à Besanceuil, le Bourgogne Tribal show, dont la deuxième édition en mai dernier a été couronnée de succès. Impensable il y a seulement dix ans. « L’art tribal est un secteur qui suscite de plus en plus d’intérêt, commente Pierre Moos, satisfait. La multiplication des foires permet de faire connaître cette spécialité à un public toujours plus nombreux ». En l’espace de cinq jours seulement, du 12 au 17 septembre, plus de soixante marchands proposent ainsi au public de découvrir quelques-unes des plus belles pièces disponibles sur le marché au travers d’expositions – parfois thématiques –, de conférences, de publication de livres et de discussions.

Un invité de marque

Comme chaque année, l’équipe de Parcours des mondes a choisi de rendre hommage à une personnalité marquante du monde de l’art tribal. Par le passé, le salon a déjà honoré Jacques Chirac, Jean-Paul Barbier-Mueller ou encore Lionel Zinsou. Pour cette 16e édition, le titre de Président d’honneur revient au galeriste Javier Peres, collectionneur reconnu d’art classique africain et inlassable arpenteur du salon. Né en 1972 à Cuba, Javier Peres a fondé la galerie Peres Projects à San Francisco en 2002. Il est aujourd’hui implanté à Berlin et participe aux plus grandes foires d’art contemporain avec des artistes en vue comme Donna Huanca ou Mark Flood. Aux yeux de Javier Peres, l’invitation de Pierre Moos sonne comme une vraie marque de reconnaissance. Il y a peu, le galeriste estimait lui-même que le salon pouvait être considéré comme l’« Art Basel de l’art tribal ». Javier Peres propose dans l’Espace tribal de la rue Visconti une exposition intitulée « Le lion et la perle ». Celle-ci propose au public une confrontation saisissante entre l’art traditionnel d’ethnies nigérianes et des formes plus contemporaines. Un exercice de dialogue culturel à mi-chemin entre héritage traditionnel et création contemporaine dont raffole Javier Peres, comme le prouvent les récentes expositions « Group Spirit » et « Wild Style » dans sa galerie berlinoise. Les objets présentés dans l’Espace tribal sont issus de sa collection personnelle (d’art contemporain) et des exposants de Parcours des mondes.

Le Tapa à l’honneur

Le second événement majeur de cette nouvelle édition de Parcours des mondes est le choix d’éclairer un objet particulier des îles du Pacifique : le tapa. Une mise en avant originale, menée à l’occasion de la sortie du livre L’événement tapa, de l’écorce à l’étoffe. Art millénaire d’Océanie (éditions Somogy), fruit de la collaboration de soixante spécialistes internationaux et 35 artistes. Comme son titre l’indique, il présente l’art ancestral des tapas, des étoffes produites à partir d’écorces d’arbres depuis des siècles dans une grande partie de l’Océanie. Une conférence de presse organisée mardi 12 septembre marquera la sortie de l’ouvrage.

Si l’art des tapas reste encore méconnu en Occident, il constitue en Polynésie un marqueur culturel ancestral. Selon les îles, les tapas sont fabriqués par les hommes ou les femmes. Pour les confectionner, un morceau d’écorce d’arbre est détaché de son tronc, puis trempé dans l’eau pour assouplir sa texture. L’écorce est ensuite travaillée à l’aide d’un battoir. Des décors colorés aux formes géométriques sont enfin imprimés à sa surface. Avant l’introduction des vêtements occidentaux dans les îles, les Polynésiens se servaient des tapas pour se vêtir au quotidien. Ils les portaient toute leur vie et même au-delà puisqu’ils servaient également de linceul. Les tapas étaient par ailleurs utilisés lors de rituels religieux ou civils, en offrande aux visiteurs ou pour envelopper les effigies des dieux. À eux seuls, ces objets témoignent parfaitement des liens qui unissaient jadis les humains au divin, la communauté au mythe, au croisement de l’union entre le sacré et le profane.

Parcours des mondes ne pouvait que s’associer à la sortie d’un tel ouvrage et le salon a même mis les petits plats dans les grands. Pour marquer l’événement, l’association polynésienne TAPA propose plusieurs moments forts, dont une exposition-vente de tapas contemporains, des projections de films, des conférences et même deux démonstrations de battage d’écorce dispensées par Mareva Gilmore-Mote, artisane de l’île de Fatu Hiva (archipel des Marquises).

Un voyage spirituel auquel font écho plusieurs galeristes du Parcours des mondes comme Anthony Meyer, qui présente des tapas des îles Salomon et du lac Sentani. La galerie Flak réunit également dans son exposition « New Beginnings » des sculptures maories de Polynésie. La galerie américaine Michael Evans, abritée par la galerie Courteron, présente quant à elle de superbes massues sculptées dans le cadre de l’exposition « War clubs of the South Pacific ». Enfin, le Centre culturel du Crous de Paris, rue de l’Abbaye, organise en parallèle de Parcours des mondes une exposition de grands tapas contemporains en provenance des îles Tonga, Fidji et des Marquises.

Les galeristes aux premières loges

Mais Parcours des mondes, c’est aussi et surtout le rassemblement des meilleurs marchands d’art tribal. Comme d’habitude, nombre d’entre eux proposent des expositions thématiques, signe d’un travail réalisé bien en amont du salon. Plusieurs marchands annonçaient avoir travaillé près de deux ans à rassembler les pièces de leurs présentations. Une nouvelle occasion de constater qu’au-delà de leur fonction commerciale, les galeries jouent un rôle central dans la démocratisation de l’art tribal, la médiation culturelle… et l’histoire du goût.

© Parcours des mondes, photo : Cerise Laby

Le choix de Picasso par Charles-Wesley Hourdé en fournit un exemple éloquent. Que savons-nous au juste de la réputation de « nègre blanc » qui colle à la peau du peintre depuis si longtemps ? À défaut d’offrir une réponse complète à cette question, l’exposition « L’Emprise des Masques » organisée par le galeriste apporte au moins quelques éléments de réponse. Le peintre espagnol, à qui le quai Branly a récemment rendu hommage, fréquentait les musées d’art populaire, il posséda également des statues et des masques africains. Malgré sa célèbre formule « l’art nègre, connais pas ! », il ne fait pas de doute que Pablo Picasso s’inspira de l’art extra-européen dans la constitution de son imaginaire artistique. Pour cette exposition, le marchand propose un ensemble d’œuvres africaines et océaniennes minutieusement sélectionnées pour leur qualité esthétique, leur ancienneté, mais également pour leur affinité avec l’œuvre et la vie de Picasso, notamment un masque d’épaule baga et une statue kanak dans le style des objets qui influencèrent le maître cubiste.

À cet égard, il y a encore beaucoup à dire sur le rôle des marchands dans la mise en parallèle du cubisme et de l’art africain ; car ce sont bien eux qui en réalité ont amorcé le mouvement, qui devait par la suite se transformer en redoutable piège historiographique. C’est la galerie Joseph Brummer, installée à Paris, qui se lança d’abord dans le jeu des comparaisons dès les années 1900. La première exposition assimilant Picasso et l’art africain, intitulée « Picasso u. Negerplastik » se tint un peu plus tard, en 1913, dans la Neue Galerie d’Otto Feldmann à Berlin. Toute une époque… Bref, si Picasso lui-même n’a pas orchestré cette assimilation, le maître ne l’a toutefois pas contredite.

À quelques pas de là, au 35 rue de Seine, la galerie Vallois dévoile une cinquantaine de masques gélédé contemporains de Kifouli Dossou ainsi que des photographies anciennes retouchées inspirées par ces mêmes masques signées de l’artiste française Coco Fronsac. Né en 1978, Kifouli Dossou travaille principalement à Cové (Bénin), où il sculpte des masques au moins onze heures par jour. La fabrique d’effigies est une affaire de famille, et un travail avant tout. On ne s’embarrasse pas de distinctions superflues quand il s’agit d’honorer le mythe. « Dans ma tradition, le Gélédé est sacré, confie Kifouli Dossou. Je m’inspire de celle-ci pour essayer d’éduquer, de sensibiliser. […] Je puise l’inspiration de mon travail dans la tradition, mais aussi avec tout ce qui m’entoure pour avancer et construire un futur meilleur ». En 2014, Kifouli Dossou a notamment remporté la première édition du prix Orisha pour l’art contemporain africain, fondé par la galeriste Nathalie Miltat. Dans son second espace, au 41 rue de Seine, la galerie présente deux artistes contemporains Edwige Aplogan et Charly d’Almeida. Ces deux expositions s’inscrivent dans la continuité de l’événement-fleuve « Paris – Cotonou – Paris », qui pendant un an présente chaque mois des expositions d’artistes béninois ou ayant des liens particuliers avec ce pays.

La galerie Lecomte explore pour sa part la thématique des collectionneurs, très en vogue en ce moment… Il suffit de pousser la porte de la boutique pour admirer les trésors batéké du Bas-Congo collectés par la famille Lehuard au fil des générations, depuis Raoul jusqu’à Sophie et Claude, en passant par Robert. Une partie de la collection avait déjà été exposée à la galerie Ratton en 1998, dans le cadre d’une trilogie dont se souvient encore le milieu des connoisseurs. Une exposition qui fait par ailleurs écho à celle consacrée aux Barbier-Mueller, qui se déroule actuellement au Grand Palais pendant la Biennale Paris (jusqu’au 17 septembre).

La liste est longue des expositions de qualité que le public pourra encore visiter cette semaine. De splendides objets, appuie-tête, cannes, herminettes et autres hochets sont exposés chez Yann Ferrandin dans l’exposition « Pouvoir et prestige ». La galerie Estrangin nous invite de son côté à découvrir l’art méconnu du APY lands avec le show « Gems from the remote Australia ». Lucas Ratton propose un focus sur l’ethnie malienne Bambara, une trentaine d’œuvres de production éclectique et graphique, tandis que la maison Dandrieu-Giovagnoni se pique davantage pour l’art de Haute-Volta. Ailleurs, Laurent Dodier étale à la vue des curieux des objets dogons… Et tout cela encore, sans oublier la présence foisonnante des meilleures galeries étrangères abritées chez leurs confrères français, parmi lesquelles Didier Claes, Donald Ellis, Thomas Murray ou encore Chris Boylan…

© Parcours des mondes, photo : Cerise Laby

Au bout du compte, une chose est sûre : en cette belle semaine de septembre, même les amateurs d’art tribal les plus exigeants trouvent leur bonheur à Paris. Parcours des mondes propose une programmation éclectique couvrant tous les horizons. Le plus grand rendez-vous d’art tribal n’a jamais aussi bien porté son nom.

Une saison au Quai Branly

L’Afrique équatoriale atlantique a donné aux arts africains quelques-uns de ses plus exceptionnels chefs-d’œuvre. De la puissance plastique des Fang à l’élégance naturaliste des Punu, c’est près de 325 œuvres de cette vaste région, qui sont réunies dans l’exposition. Ce grand ensemble de pièces, couvrant la période du XVIIe au début du XXe siècle, a vocation à démontrer les correspondances, mutations, et particularités, des formes et des arts de l’Afrique équatoriale atlantique, offrant ainsi un panorama de ses principaux styles artistiques, à la manière d’une histoire de l’art « classique ».

Cupisnique, Mochica, Chimú, Lambayeque… Loin d’avoir dans notre imaginaire la puissance évocatrice des Incas, ces cultures anciennes du nord du Pérou ont pourtant porté les germes du plus vaste empire préhispanique. Une exposition qui prendra la forme d’une enquête sur les traces de ces civilisations disparues avec pour toile de fond une réflexion sur le pouvoir.

« Les forêts natales. Arts de l’Afrique équatoriale atlantique » Du 3 octobre 2017 au 21 janvier 2018. Musée du quai Branly. 37 quai Branly, Paris 7e.www.quaibranly.fr « Le Pérou avant les Incas » Du 14 novembre 2017 au 1er avril 2018. Musée du quai Branly. 37 quai Branly, Paris 7e.www.quaibranly.fr